Matériau, architecture et intelligence incarnée : une approche interdisciplinaire de la robotique souple

© ICube

Pierre Renaud, professeur à l’INSA Strasbourg et membre du laboratoire ICube (CNRS/Université de Strasbourg/INSA Strasbourg), présente l’action structurante (AS) 1 intitulée « Matériau, architecture et intelligence incarnée » du programme de recherche Robotique organique (O2R). Il intervient sur l’interdisciplinarité du projet et de ses avancées en matière de robotique.

Comment se déroule au sein de l’AS1 la collaboration avec les chercheurs et les chercheuses non spécialistes de la robotique : en anthropologie, sciences cognitives, art, design et philosophie ?

Pierre Renaud : Le projet AS1 s’est construit en associant plusieurs champs disciplinaires. La question de la souplesse, son apport et son impact dans la conception de robots, a alimenté des échanges pluridisciplinaires pendant la genèse du projet et son lancement. Ce sont des échanges très intéressants au sein du consortium et une force d’O2R, aujourd’hui, que de permettre de créer une communauté pour aborder ensemble ce sujet qu’est la robotique. Nous arrivons actuellement à construire entre communautés des travaux que j’imagine être originaux. Je pense en particulier au travail associant arts, design et robotique autour du développement de mousses actives : la robotique, avec Inria, le FEMTO-ST et ICUBE apporte son regard sur la modélisation, la simulation, le recours à des techniques de fabrication avancées, tout en ayant des apports par les arts et le design avec l’ENSAD sur l’esthétique, la matérialité de nos dispositifs et la relation pouvant être créée avec un utilisateur. Ce sont des travaux très enrichissants pour toute cette communauté nouvelle que nous essayons de mettre en place. 

Pouvez-vous nous donner un exemple de robot souple sur lequel vous travaillez ?

P.R. : Les dispositifs à base de mousses actives sont un exemple, mais il est difficile de se limiter et n’en mentionner qu’un…. Les tenségrités sont aussi un autre projet très intéressant dans le contexte de l’AS1 : nous recourons à une architecture associant éléments souples et éléments rigides pour obtenir un mouvement en jouant sur les forces internes au sein du système. C’est une approche qui reste encore peu développée, pourtant très riche en considérant son existence dans la nature, à l’échelle d’une cellule ou par exemple du cou d’un oiseau, comme nos collègues du LS2N à Nantes l’ont étudié. Un travail en profondeur est alors possible, pour profiter des forces internes venant précontraindre l’architecture du robot et la manière de le commander. Ainsi, un travail en collaboration entre le LS2N et ETIS à Cergy s’est engagé pour exploiter des approches de commande par intelligence incarnée, visant à faciliter et améliorer la maitrise de ces robots d’un genre assez nouveau.

Quelles caractéristiques recherchez-vous pour créer un nouveau matériau utile à la conception d’un robot souple ?

P.R. : Notre objectif dans le projet AS1 est de lier matériau et architecture du robot et finalement sa commande pour maitriser ses mouvements. À l’échelle du matériau, nous considérons des caractéristiques mécaniques, comme « traditionnellement » dans le champ de la science des matériaux et de la robotique : raideur, résistance, densité. Toutefois, nous intégrons dans le projet d’autres dimensions : l’apparence, le ressenti au toucher, s’agissant de systèmes ayant vocation à être proches et en contact avec l’humain. Cela pose alors la question de la possibilité de mettre en forme ces matériaux, de pouvoir fabriquer avec. Sur ce volet, nous cherchons actuellement à permettre d’aller encore plus loin avec les procédés de fabrication additive, des domaines où ICUBE et le CEA LIST notamment sont actifs, pour construire le robot ou ses composants par ajout de matière. 

Par quelles approches arrivez-vous à aborder l’écoconception des robots ?

P.R. : Nous essayons d’associer plusieurs expertises et manières d’aborder la question de la conception et son impact environnemental, car c’est une dimension qu’on ne peut se permettre de négliger aujourd’hui. Une première manière de travailler est de traiter la question de l’analyse : évaluer ce qui constitue un robot, en allant au-delà d’un bilan unique, par exemple des émissions de gaz à effet de serre. Le LESC apporte ici une approche originale de matériologie profonde, en déterminant et mettant en avant ce qui le constitue, la complexité des approvisionnements, des savoir-faire mis en jeu et finalement de l’emprise sur notre planète que représente la production d’un produit comme un robot. Dans le même temps, nous poussons en parallèle une voie de conception alternative, au-delà de l’analyse, en choisissant de considérer le recours aux matériaux biosourcés, Inria et le LS2N traitant aujourd’hui conjointement de problématiques liées à l’exploitation de végétaux.