Mouvement en interaction physique et socialement adapté : penser le robot en mouvement, vers une collaboration sensible et motrice

Philippe Souères, directeur de recherche CNRS au LAAS-CNRS, présente l’action structurante (AS) 2 « Mouvement en interaction physique et socialement adapté » du programme de recherche Robotique organique (O2R). Il met en avant la conception collaborative des robots développés et leurs capacités multisensorielles.
Quelles technicités doivent être maîtrisées et explorées pour développer les capacités d’intégration multisensorielle et sensorimotrice des robots ?
Philippe Souères : Pour conférer à un robot la capacité de se déplacer pour agir dans son environnement il faut le doter de capacités de perception adaptées. Il doit, d’une part, être en mesure d’évaluer son état interne (position et vitesse des articulations, configuration de sa base mobile) pour adapter sa commande motrice. D’autre part, il doit pouvoir percevoir le monde extérieur pour s’y repérer et orienter ses mouvements. Cela nécessite différents types de capteurs délivrant des signaux complémentaires. Ces informations doivent être intégrées et affinées (intégration multisensorielle) pour permettre l’évaluation des grandeurs d’intérêt. La variation de ces données doit d’autre part être reliée au contrôle du mouvement (intégration sensorimotrice). Pour y parvenir, une approche qui a longtemps prévalu consiste à combiner des techniques probabilistes de fusion multi-capteur (filtrage) et d’automatique (observation) pour reconstruire une représentation de l’état du robot. Les techniques récentes d’apprentissage automatique ouvrent une voie nouvelle en permettant l’intégration directe de données capteurs en entrée de réseaux de neurones pour le calcul de politiques de commande performantes.
Pouvez-vous nous donner un exemple concret de robot sur lequel vous travaillez et afin de développer quel sens et/ou quelle motricité ?
P.S. : On peut citer deux projets lancés dans la première phase de l’AS2 pour lesquels les questions de l’intégration multisensorielle et sensorimotrice sont cruciales. Le premier concerne la manipulation d’objets souples à l’aide d’un robot muni de deux bras, porté par l’Université de Montpellier et l’IRISA (CNRS/Université de Rennes). Il s’agit de commander le mouvement des deux préhenseurs du robot tenant chacun une extrémité de l’objet pour que celui-ci prenne la forme souhaitée. Cela repose sur l’intégration de données provenant de la proprioception du robot (articulations des bras) ainsi que de la vision qui perçoit la déformation, et potentiellement un retour d’effort. Le second exemple concerne le contrôle de locomotion d’un robot quadrupède porté par le LAAS-CNRS et le Centre Inria de Paris. Dans ce cas, il s’agit de coordonner les efforts produits sur les 12 articulations des pattes du robot pour adapter son comportement au franchissement d’obstacles. Ici encore, cela nécessite le traitement simultané d’informations multisensorielles hétérogènes telles que les mesures des positions et vitesses articulaires, les mesures inertielles et l’information de vision délivrée par une caméra embarquée.
Vous étudiez le mouvement pour contribuer à la conception collaborative des robots. Qu’entendez-vous par « collaboration avec les robots » ? Que vous apporte l’approche des non spécialistes de la robotique : psychologie cognitive, psychologie interaction humain-robot, psychologie sociale, anthropologie et sociologie ?
P.S. : Lorsqu’on parle de conception collaborative de robots, ou codesign en anglais, il s’agit d’une démarche visant à prendre en compte, dès la phase de conception de la machine, différents aspects liés à leur utilisation et leur fonctionnement. En étudiant le mouvement des robots en interaction physique sous un angle interdisciplinaire, impliquant roboticiennes, roboticiens, chercheurs et chercheuses en sciences humaines et sociales, notre objectif est de mettre en évidence un ensemble d’éléments pouvant guider la conception des robots pour les rendre à la fois performants du point de vue de la réalisation de la tâche et socialement adaptés. Ceci peut concerner leur morphologie, les éléments et matériaux qui les composent, leurs systèmes d’actionnement et de perception ainsi que leur mode de commande, afin de mieux répondre aux besoins des utilisateurs. Les différents domaines d’expertise des chercheurs et chercheuses en sciences humaines et sociales cités sont en ce sens précieux pour évaluer, sous différents angles, comment adapter ces caractéristiques du robot en prenant en compte l’humain.
Quels types de robots et tâches et pour quels usages comptez-vous mobiliser pour la conception du mouvement ?
P.S. : Les travaux que nous conduisons posent de façon plus fondamentale un ensemble de questions liées au mouvement pour différents types de robots et de tâches. À ce stade, nous n’avons pas considéré de type particulier d’usagers et d’usages pour la commande du mouvement. Sous un angle résolument interdisciplinaire nous nous intéressons à des questions telles que l’agentivité et la transparence des systèmes dans des interactions humain-robot (Inria-Bordeaux et Onera), la coreprésentation et la prédiction des actions de l’agent robotique en milieu industriel (PPRIME et CERCA), ou plus largement la question de cohabiter avec des robots (Université de Picardie), en essayant de comprendre ce que le mouvement induit sur les interactions entre entités robotiques et êtres humains, et ce que les interactions induisent sur le mouvement. Les cas d’usages derrière ces études sont multiples. Ils s’étendent sur un large spectre allant de la robotique de service à la robotique industrielle en passant par la robotique collaborative, dans lesquels ces systèmes sont amenés à se déplacer dans des environnements partagés avec des humains et interagir physiquement avec eux.
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